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Correspondance entre Emma et Maria Titeca

 

                                       Emma Titica (1903-1938), fille d'Eduardus Titeca et d'Eugénie Taecke, était la cadette d’une famille qui se composait de 4 enfants. Malheureusement, la veille de la grande guerre, en 1913,  Emma perdit sa mère, vraisemblablement des suites d'une grippe. La famille nous a appris que le père fut également fréquemment souffrant durant le conflit.

 

                                       Lorsque la première guerre mondiale éclata, Emma fut envoyée tout d'abord au pensionnat Saint Joseph de Bruges mais ne s'y plaisant pas (courrier n°1), elle partit ensuite à l'Institut Saint Famille des SÅ“urs Maricoles d’Oostkamp. Il était, en effet, d’usage d'envoyer les filles en pension au début du siècle. L’éloigner des zones de combats fut probablement une solution pour rassurer la famille. Comme lu dans les archives de la ville de Bruxelles, son père reçut peut-être une aide par l’intermédiaire d’un des comités issus de CNSA.  Ne pouvant subvenir aux besoins de tous les enfants de la famille en temps de guerre, certaines familles décidèrent d’envoyer une de leur fille dans un pensionnat où on avait la certitude qu’elle serait bien nourrie.

Emma raconte qu’elle se sent bien dans son pensionnat et qu’elle est soutenue par Sœur Jeanne. Le manque de temps ne nous a pas permis d’identifier cette religieuse.

Les trois sÅ“urs aînées sont donc restées à la maison et une serait mariée à Emile. Les garçons dès la fin de leur scolarité à 12 ans aidaient leur famille en travaillant, ce qui est probablement  le cas de Cyriel, l’unique frère.

 

 

                                       Pour cette période de la vie d’Emma, les seules lettres conservées sont écrites à sa grande sÅ“ur, Maria. Celle-ci a été arrêtée et jugée par les Allemands et ensuite incarcérée pour espionnage dans un camp de prisonniers en Allemagne. Malheureusement, nous n’aurons accès à son dossier auprès des victimes et prisonniers de guerre que dans quelques semaines.

La première adresse « Strafanstalt Delitzoch Provinz Sachen Â» correspondrait à un pénitentier situé dans le comté Delizch, près de Torgau. Quant à l’adresse « Lager Holzminden Baracke n°14 Â», où Maria est emprisonnée en 1917, un site français s’est constitué pour en recueillir les témoignages écrits et photographiques.

Ces deux camps sont repris dans le 3e rapport annuel, présenté à l’assemblée générale du 10 janvier 1918 de l’Office central belge pour les prisonniers de guerre antérieurement Comité central de l’œuvre d’assistance aux prisonniers belges en Allemagne. Le rapport fut publié à Bruxelles et à Paris, en juin 1918. La page 103 représente une carte des camps en Allemagne regroupant des prisonniers belges ; la page 113 est illustrée d’une photo du camp d’Holzminden.

 

                                       Dans les lettres d’Emma Titeca adressées à sa sÅ“ur, nous pouvons constater qu’à 10-11 ans elle possède une très belle écriture et un très bon style d’écriture. Peu de fautes sont commises car à l’époque l’orthographe a une grande place dans l’éducation scolaire.

Plus les années passent et plus le contenu des lettres ou cartes est chargé. Le papier se faisant de plus en plus rare, il fallait raconter un maximum de choses sur un minimum de place.

Ainsi, la calligraphie d’Emma, qui était vraiment soignée pour son âge l’est de moins en moins vers la fin de la guerre, lorsque le papier vient à manquer. La dernière lettre écrite en décembre 1918 retrouve sa splendeur.

 

                                       Autre observation que nous pouvons faire en lisant ce courrier est le bilinguisme d’Emma Titeca. Si certains écrits sont en néerlandais, langue maternelle d’Emma, le français était indispensable pour une éducation correcte. Quelques années plus tard dans un pensionnat de Roulers, de Burgerschool, sa fille, Rachel fit la même expérience, le français était obligatoire même lors des intercours.

Il faut cependant nuancer cette observation. Les premiers courriers sont en flamand parce que les Allemands ont imposé l’usage de cette langue dans les écoles en Flandre et à Bruxelles.

Ces cartes contrôlées par l’institution religieuse (Emma, dans la carte de mariage, dit écrire en cachette des sÅ“urs), le sont aussi par la censure allemande comme en atteste les cachets : « Gepruft Â» «  Etappen Inspektion Â» ainsi que parfois la trace de trois dates de cachet. Ces dates pourraient être la date d’envoi, la date d’inspection et la date de réception.

A noter aussi que certaines cartes (n° 2, 3,4) sont issues d’une imprimerie allemande. Il pourrait s’agir de carte réglementée à l’usage de prisonniers de guerre. En revanche, la carte de félicitation de mariage (écrite avant l’armistice) et la très longue lettre, toutes deux datées de 1918, sont libellées en français. Le flamand a donc été utilisé, en respectant les ordres de l’occupant, pour le courrier vers un camp de prisonniers et le français lorsque Maria est libre et vit à Rouen en attendant la fin de la guerre. Quel triomphe d’utiliser le français dans la lettre du 2 décembre 1918, immédiatement après la réouverture de la poste belge.

 

                                       Quant aux sujets abordés, à de nombreuses reprises, Emma parle de son amour pour Jésus-Christ et Dieu. Elle tente de rassurer Maria qu’elle priera pour elle, pour leur famille. Elle se réjouit d'avoir fait sa profession de foi. Il faut tenir compte qu’à l’époque la religion occupait une grande place dans la vie de la grande majorité des citoyens, encore plus en temps de guerre où femmes et/ou enfants priaient pour le retour en bonne santé d’un mari, d’un père, d’un frère. Dans des temps difficiles, les gens ont plus tendance à se tourner vers la religion pour trouver du courage dans la foi, ce que dit Emma en souhaitant que Maria ne laisse pas tomber l’espoir de revenir du camp.

 

                                       Autre sujet récurrent, la santé qui était l'une des préoccupations majeures à l'époque compte tenu des conditions de vie exécrables. Le manque de nourriture, d’eau, l’approvisionnement restreint, l’inflation galopante des denrées, le prix des matières premières sont les préoccupations essentielles du quotidien. Beaucoup d'enfants souffrent alors de mal nutrition et de carences en tout genre comme nous l’avons montré dans la partie Ecole en guerre.

En conclusion, placer une jeune fille dans un pensionnat, loin de tout combat était une manière d’assurer la pérennité de la famille et de faire des économies étant donné que les subsides se faisaient de plus en plus rares.

Cependant, les conditions alimentaires sont encre plus précaires pour les prisonniers. Dans le courrier du 10 janvier 1917, Emma fait la liste du colis pour Maria : un paquet de fromage, des croutons, du pain d’épices, du café, 9 paquets de pudding, 24 de menthe, 24 galettes, 3 sucre ? « l’autre sucre nous ne pouvons l’envoyer ? Â», des noix.

Les paquets étaient livrés par l’intermédiaire de l’Agence internationale des prisonniers de guerre basée à Genève.  Malgré leur deux millions et demi de fiches de prisonniers, nous n’avons trouvé le nom de Maria mais peu de belges y sont recensés. Le rapport de l’Office central belge pour les prisonniers de guerre fait état de Â» colis livrés à Delitzch… rattaché au camp Gardelegen…). Ces colis ne se composent pas que de nourriture mais aussi de vêtements, sous-vêtements, livres. Une photo du camp d’Holzminden montre une baraque affichant ces rubriques.

Dans le courrier du 7 juillet, Emma parle de son apprentissage de la couture, de la confection d’une blouse et de cols pour son frère.

 

                                       Enfin si l’on étudie le vocabulaire d’Emma, il est pénétré d’un profond respect vis-à-vis de son aînée et de sa famille. «  Heer beminde zuster, uwe toegenegene zuster, Les formules de politesse, l’humilité sont omniprésents.

Des mots de dialecte se glissent au milieu de ce néerlandais qui n’a pas encore connu sa réforme grammaticale de  1946 (toujours des déclinaisons) comme soetekoek pour pain d’épices.

 

 

 

                                       Pour conclure, nous avons pu grâce à ces lettres intimes d’une jeune fille flamande toucher au plus profond de la détresse belge, durant la première guerre mondiale. Nous avons pu découvrir les angoisses vécues comme le deuil d’une enfant, la séparation des familles, les règles et mesures draconiennes de l’occupant à respecter, l’inquiétude quant au sort des prisonniers de guerre, les restrictions en tout genre et surtout alimentaires, les destructions. L'envoi de ces lettres malgré la censure était le seul moyen pour Emma de garder contact avec ses proches et de ne pas perdre courage. Les vacances de Noël et d’été ne sont qu’évoquées pour marquer le temps qui passe.

L’école lui fut buissonnière. Emma s’échappa du quotidien en pensant et en écrivant à sa sÅ“ur, à sa famille et en se réfugiant dans la prière. Son altruisme pour les membres de sa famille a totalement pris le dessus sur sa propre existence dans ce pensionnat. Ses pensées sont sans cesse tournées vers les membres de sa famille : son père, son frère, ses sÅ“urs et son beau-frère. Même son apprentissage de la couture est également tourné vers les autres, elle a confectionné des cols pour son frère.

La première page du dernier courrier, daté du 2 décembre 1918, démontre à elle seule ce qu’était cette école «  buissonnière Â» pour Emma Titeca durant la Grande Guerre.

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